KIM Iljo avait 16 ans lors de l'explosion de la bombe. Elle se trouvait dans le quartier de Eba-machi, à 3km de l'épicentre de l'explosion de la bombe atomique. Au champ de tir de Eba où les rescapés se réfugiaient, elle a vu des gens brûlés au point de ne distinguer les hommes des femmes, mourir de soif. Au Japon, elle a été discriminée en tant que “Coréenne.” Ensuite, après être rentrée en Corée, elle a affronté les difficultés des différences de culture et de langage. Elle raconte qu'il ne faut surtout pas faire la guerre, et qu'il faut s'entraider.
"La vie jusqu’à la période de l'école primaire"
Mes parents sont venus au Japon à l'époque Taisho (1912-1926). Nous sommes venus à Hiroshima lorsque j'étais petite. Beaucoup d'habitants de Hapchon sont venus à Hiroshima, se sont rassemblés, et ils ont fait venir leurs proches. C'est ainsi que de nombreux habitants de Hapchon se sont mis à habiter à Hiroshima. Alors, tout le monde disait, "Hiroshima est le deuxième Hapchon", ou "Hapchon est le deuxième Hiroshima."
J'allais à l'école primaire d'Eba. A l'époque où j'étais à l'école primaire, les japonais menaient aussi une vie dure avec le système des restrictions. Même après avoir mangé les repas rationnés par l'état, nous avions toujours faim. Dans cette situation, mes parents tenaient un magasin d'aliments séchés pour les Coréens. Les Coréens utilisent des œufs de poissons séchés, poulpes séchés, algues séchées, lors des célébrations pour les ancêtres. Les produits utilisés lors de ces cérémonies ne pouvaient se trouver que dans notre magasin. Il n'y avait pas d'autres magasins d'aliments séchés. Grâce à notre commerce, nous achetions du riz clandestinement, donc nous n'avons pas trop souffert. C'est pourquoi la période où nous habitions au Japon était heureuse.
Nous sommes devenus Japonais en 1940. Mon père est devenu MATSUMOTO Kinjiro et toute ma famille a changé le nom. Ma grande sœur Kimiko, moi Kimiyo, ma petite sœur Fumiko, avons seulement changé le nom de famille. Dès lors, nous sommes devenus complètement Japonais. Au printemps, j'ai terminé l'école primaire. J'ai aidé ma mère pendant les vacances d'été à la maison. J'ai dis à mon père que je voulais aller au collège moi aussi. Mais il m'a répondu, "Nombreux de mes amis n'ont pas réussi à obtenir leur diplôme, alors arrête-toi à l'école primaire."
"Emploi et mariage"
Une parente travaillait à l'usine de caoutchouc Hasegawa dans le quartier de Funairi. Grâce à son aide, j'ai pu travailler à l'usine à partir de septembre. Cependant en faisant ce travail, l'odeur du caoutchouc me faisait mal à la tête. J'ai su que l'entreprise de Chemin de fer électrique d'Hiroshima recherchait du personnel. J'ai passé le test en mars 1942 et ai été acceptée. J'y ai travaillé jusqu'en avril 1944. Je travaillais en tant que receveuse de bus de ville. Les conducteurs et les contrôleurs de train étaient uniquement des hommes. Mais les hommes ont tous été réquisitionnés par l'armée et par manque de main d'oeuvre, les femmes aussi ont pu être contrôleuses dans les trains. Ensuite à la fin de 1944, les femmes ont pu être également conductrices des trains. J'avais mal au jambes à cause de ce travail debout et j'ai démissionné en avril 1944.
Ensuite de juillet à novembre, j'ai travaillé pendant cinq mois dans le Corps volontaire. C'était une époque où il était impossible de se reposer, au point de "demander l'aide des chats." Finalement, les femmes ont été requises dans le Corps volontaire. Egalement ceux qui n'ont pas pu aller à l'armée ont été réquisitionnés. De nombreux Coréens ont également été forcés d'y participer. Moi aussi, j'y ai travaillé de juillet à novembre 1944, et je me suis mariée en décembre 1944.
Avant l'explosion de la bombe atomique, les avions ennemis venaient déjà beaucoup. L'alerte aérienne sonnait longuement lorsque un avion venait. Nous prenions nos bagages et nous préparions à nous réfugier aux abris antiaériens. Lorsque les avions étaient repartis, la sirène de levée sonnait. Nous nous entrainions à puiser de l'eau et éteindre les feux en cas d'incendie causé par les avions. Les femmes s'entraînaient à faire des bandages comme des infirmières. Nous nous exercions sans cesse à porter les capuchons antiaériens et à nous enfuir. Si mon père avait été en vie, nous aurions pu nous réfugier ailleurs. Et ma mère était occupée à tenir le magasin. Nous avons pensé à nous réfugier, mais nous n'avions pas de maisons à l'abri. Alors que nous pensions à emprunter des terres à un Japonais et à construire une maison, la bombe atomique a explosé.
"L'explosion de la bombe atomique"
Le 6 août, vers 7h du matin les sirènes antiaériennes ont retenti. A ce moment-là, c'était l'heure de partir au travail. Mais à cause des sirènes, l'heure du petit-déjeuner a été retardée. Pendant que je me préparais à m'abriter, les sirènes de levée ont sonné. Mon mari a pensé que les avions étaient partis, et après avoir déjeuné, il est parti au travail en retard. Je faisais la vaisselle et rangeait la cuisine, ma mère et mes deux sœurs étaient dans la chambre. Une lumière vive comme un éclair m'a éblouie. Ensuite j'ai entendu le plus gros bruit de toute mon existence. C'était un bruit sufffisant pour faire éclater les oreilles. Ensuite la maison s'est effondrée.
Les Coréens vivaient dans des longues baraques avec des tôles galvanisées. Elles étaient si légères qu'elles se sont écroulées. Nous nous sommes retrouvées recouvertes sous le toit. Si nous avions été ensevelis par une plus grosse maison, nous serions mortes sur le coup. Voyant une lumière de quelque cavité, ma mère s'est forcée désespérément de sortir de là. Nous nous sommes débrouillées pour sortir des décombres. Ma mère était gravement blessée ici avec des clous et des tôles galvanisées. Elle était couverte de sang mais nous a aidé. Mes deux sœurs ont eu des blessures légères. J'ai été blessée à la tête. Maintenant la blessure est petite, mais évidée par une tôle galvanisée, là-dessus, mes cheveux ne poussent plus. J'ai eu aussi une blessure à cet endroit, mais elle a rapetissé. J'étais moins blessée que ma mère, mais moi aussi, mes blessures saignaient beaucoup.
Quand nous sommes sorties, les gens de la baraque étaient tous rassemblés. Nous cherchions à endroit de refuge. Finalement, nous nous sommes rassemblés au champ de tir militaire au pied de la montagne Sarayama. N'ayant aucun abri, nous n'avions plus qu'à y aller. C'est pourquoi nous nous y sommes réfugiés. Au champ de tir, il y avait des gens venus plus tôt, et des gens venus de Funairi et de Kawaramachi. Les gens venus du centre-ville réclamaient de l'eau. Leur peau était tellement brûlée avec leurs vêtement collés qu'on ne pouvait distinguer les hommes des femmes. Comme les poupées exposées au Musée du Mémorial de la Paix d'Hiroshima, la peau de leurs doigts pendait.
Beaucoup d'entre eux réclamaient de l'eau et sont morts directement. Leurs nez étaient tordus, ces personnes-là aussi sont mortes tout de suite. Ils nous demandaient de l'eau mais nous étions blessées aussi. Ma mère appuyait sur sa blessure avec un tissu ramassé quelque part. Nous n'étions même pas en mesure de leur donner de l'eau. Nous pensions que nous deviendrons comme eux et mourrions rapidement.
Finalement, l'incendie s'est propagé jusqu’à Funairi mais Eba n'a pas brûlé. Le feu n'est pas arrivé jusque-là et juste des boules de feu ont volé. Ma maison d'Eba était tout écrasée mais elle n'a pas brûlé. Donc, nous avons pu sortir les affaires et la nourriture de la maison. Et puis, nous sommes restées à Sarayama deux ou trois jours. Nous avons dormi dans un champ de figues, nous avons eu très chaud. Il y avait une place des repas pour les soldats et là-bas, de l'eau sortait du tuyaux en fer. Nous sommes allées à la maison pour prendre du riz. Nous l'avons cuisiné et fait manger à ma mère. A partir du 7, les soldats nous ont apporté des boulettes de riz. Nous en avons mangé, données par l'association des femmes, aussi. Nous y sommes restées deux ou trois jours.
Derrière Sarayama se trouvait le Parc Eba, où il y avait deux pins autrefois. Depuis 1943, de nombreux hôpitaux militaires y ont été construits. Mais, les infirmiers n'ont que du mercurochrome pour soigner, pas de médicaments. Ils ajoutaient beaucoup d'eau à un peu de mercurochrome dans une bouteille, et mettait cela dans un sceau. Ils ont appliqué ce mercurochrome mais cela n'avait aucune vertu médicale. En conséquence, du pus s'est formé et les plaies ont été infestées de vers. Ainsi, les brûlés sont tous morts là-bas.
Nous n'avions pas de refuges. Mais ayant peur du retour des ennemis, nous avons habité dans une maison vacante laissée par une personne qui s'était réfugiée à la campagne, jusqu'en octobre. A midi le 15 août, l'empereur a annoncé finalement que le Japon avait perdu la guerre. J'ai vu des japonais qui pleuraient et attendaient toujours le retour de leurs maris et de leurs enfants. La vie est devenue un enfer à cause du manque de nourriture.
"Dans son pays, la Corée"
Nous n'avions pas l'intention de retourner en Corée, et souhaitions vivre au Japon pour toujours en tant que Japonais. Je ne pouvais pas bien parler le coréen. Mais comme je l'ai appris un peu par ma mère, je parlais le japonais en le mélangeant. Il y avait une rumeur que les Japonais tueraient les Coréens qui resteraient au Japon. Mais on nous a encouragés à rester au Japon malgré les difficultés et nous a dit que le Japon se reconstruira bientôt. "Pourtant, beaucoup de Coréens sont retournés au pays." Ceux qui sont restés au Japon n'avaient pas d'argent pour y retourner. Ils n'étaient pas nombreux. Nous sommes retournées en Corée en octobre. On est allé à Shimonoseki en train, puis a pris le bateau à Senzaki. A Shimonoseki, il y avait un seul ferry-boat par jour, qui retournait au port la nuit, et repartait le matin. Les gens se rassemblaient au port pour embarquer. Je suis montée en bateau après avoir passé 6 nuits en plein air. Il y avait tellement de coréens qui sont retournés en Corée qu'il fallait attendre une semaine pour m'embarquer.
"Les difficultés en Corée"
J'ai affronté les difficultés des différences de langage et de culture. Les Coréens confectionnent des habits en coton, ou encore en lin pour l'été. Ils savaient bien tisser, mais nous ne le savions pas. Nous ne connaissions que l'armoise et le cresson comme végétaux comestibles, mais il y en avait beaucoup plus en Corée. Même si on nous avait expliqué, nous n'arrivions pas à les distinguer. Tous nos parents qui étaient restés en Corée travaillaient dans l'agriculture, mais il n'y avait pas suffisamment de nourriture pour nous tous. Nous partagions les repas entre frères et sœurs. Parfois, nous avons mangé une bouillie de riz additionnée d'ecorces de pin cuites et cognées. Nous avons vraiment peiné à vivre. J'ai pensé que nous ne pourrions plus vivre dans ce pays.
C'est ainsi que j'ai envisagé de retourner au Japon. Beaucoup de Coréens étaient dans la même situation que moi. J'ai pris le bateau pour aller au Japon à minuit en juin 1946. J'ai eu le mal de mer à cause des hautes vagues, et me suis reposée à Tsushima. A ce moment-là, j'ai été saisie par les policiers japonais possédant des pistolets qui sont entrés dans le bateau. Finalement, je n'ai pas pu aller au Japon. Je suis devenue complètement coréenne, et ai renoncé à aller au Japon. Mais je rêvais toujours d'y aller, parce que le Japon est mon pays natal. Malgré cela, je n'avais qu'à vivre et qu'à travailler en Corée. Le temps s'est écoulé ainsi, et j'ai déjà plus de 80 ans aujourd'hui.
"Discriminations"
L'association des survivants du bombardement atomique a été fondée vers 1980, grâce aux efforts de beaucoup de monde. Mais je n'en suis pas devenue membre. J'avais entendu dire qu'il y avait encore des discriminations en Corée. Les coréens étaient l'objet de discriminations au Japon. Ce qui était le plus dur pour moi, c'était d'être appelée “Coréenne”. Quand les enfants se disputaient, ils m'ont dit "Tu n'es que Coréenne." Cela m'a vraiment blessée. Quoique parlant parfaitement le japonais et vivant comme les autres enfants japonais, nous avons subi des discriminations pour la seule raison que nous sommes nés en tant que Coréens. Je me demandais pourquoi et souffrais toute seule.
En Corée, on disait qu'en raison de l'effet génétique des radiations, nos enfants ne pourraient pas se marier librement. C'est pourquoi je ne suis pas devenue membre. Je n'ai confié à personne le fait que j'habitais à Hiroshima. Mais seuls mes voisins en étaient au courant. Je n'éprouvais pas le besoin d'adhérer à l'association.
"Traitement au Japon"
Je suis enfin devenue membre en 1993. Un an après, je suis allée au Japon et ai reçu le carnet de santé pour les victimes de la bombe. Comme je le désirais, je suis allée au Japon tout de suite pour suivre un traitement. J'y suis allée trois fois, car j'avais le cœur malade à cette époque. Je devais rester 2 ou 3 mois pour subir des examens variés. J'y suis restée 3 mois pour la première fois, puis 2 mois pour les deux fois suivantes. Je prends le médicament pour le cœur depuis plus de 10 ans. Cela a causé le cancer de l'estomac, et j'ai subi une opération le 26 mars l'année dernière. Depuis, il ne me reste plus qu'un tiers de l'estomac. Comme un an a passé depuis l'opération, il s'est probablement agrandi un peu, mais je ne peux plus manger suffisamment. Je vis comme ça.
"Ce que je voudrais transmettre"
Il ne faut pas se disputer. Il ne faut pas faire la guerre. La guerre engendre des assassins. Etant assassin, on doit tuer l'ennemi, et l'ennemi nous tuera. Enfin, on s'entre-tuera les uns les autres. Il ne faut absolument pas le faire. Je dis aux enfants qu'il ne faut pas faire la guerre. Il faut tous s'aider, et s'entraider. A quel point nos petits enfants souffrent-ils aujourd'hui, à cause des mauvaises actions de nos ancêtres au Japon ? Je pense du fond du cœur qu'il ne faut absolument pas faire la guerre.
Traduction : Akiko TAZOE, Pauline MASSON
Superviseur de la traduction : Yoko TOBA
Coordinateur de la traduction : NET-GTAS(Network of Translators for the Globalization of the Testimonies of Atomic Bomb Survivors)
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